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Itinérante d'un soir

Dernière mise à jour : 5 nov.

Dans le cadre d’un cours du soir suivi à l’École nationale de l’humour à l’hiver 2015, j’ai écrit un numéro mettant en vedette Nicole, une itinérante avec plein de belles solutions pour faire de la métropole un endroit où il fait bon quêter.


Quelques jours avant les présentations finales au Lobby Bar, j’ai décidé de sortir Nicole dans le Quartier latin, histoire de l’observer évoluer dans son habitat naturel. Cet exercice m’a ensuite inspirée à commencer mes performances en quêtant devant les bars où je jouais et à faire semblant de crasher la soirée quand venait le temps de faire mon numéro. Mais au-delà du travail de personnage et du stunt, ces expériences sont presque devenues des études socioanthropologiques, et c’est pourquoi j’ai décidé de les partager avec vous dans cette série de cinq billets.


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Billet 1

Mardi le 14 avril 2015, 20H. Coin Ontario/St-Denis.


J’arrive au cœur du Quartier latin accompagnée d’une amie. Je viens de me changer dans les toilettes de l’UQAM et franchement, je suis pas super belle. J’ai la face sale et les dents finies, pis je parle un peu trop fort pour avoir l’air totalement saine d’esprit.


Dans mon gros sac Métro, j’ai un 40 oz de vodka (rempli d’eau), mais pas de cup à cennes (débutante). J’entre donc chez Starbucks et, avec une voix de fumeuse de botchs, je demande un verre en carton à la jeune caissière. Elle me regarde à peine, me répond zéro, mais obtempère nerveusement. Ça me confirme que mon déguisement marche, mais ça me fâche un peu qu’elle me réponde pas. J’en mets alors un peu plus en espérant qu’elle finisse par me traiter comme si j’étais là. T’écrirais-tu mon nom dessus, ma nouère? Pour faire sûr que j’m’a fasse pas voler tsé. Aucune réaction. C’est Nicole. Un C un L, que je rajoute un peu trop fort en attirant du même coup l’attention de quelques clients. Elle s’exécute, mais son regard continue à éviter soigneusement le mien, et c’est sans répondre à mon remerciement qu’elle me tend le verre demandé.


Ça promet.


Je m’installe sur Ontario. Au début, je récolte pas mal plus de petits sourires faussement désolés que de change. Je fais des jokes, mais à part mon amie qui fait semblant d’attendre l’autobus, personne les rit. Rapidement, je me rends compte que je peux dire les pires obscénités et que tout le monde s’en fout. Je suis invisible. Inaudible.


Au bout d’une dizaine de minutes, un gars s’arrête enfin. Il a pas de change mais m’offre une cigarette. Je lui dis que j’ai arrêté de fumer, mais il me répond: « T’as rien qu’à recommencer! » Sérieux? En 2015, avec tout ce qu’on sait sur les effets nocifs de la cigarette, pensez-vous vraiment que ce gars-là aurait répondu la même chose à quelqu’un de « normal »? Ça m’étonnerait… Mais à Nicole, c’est pas grave.


Et puis, vu que j’ai réellement arrêté de fumer et que j’ai aucune intention de recommencer - merci quand même monsieur -, j’entreprends de vendre ladite cigarette. Mais même vraiment en manque de nicotine, qui accepterait une cigarette d’une itinérante? Pas grand monde. Par contre, je remarque que les gens se sentent mal de ne pas la prendre et qu’ils sont plus enclins à me donner de l’argent. Fait qu’au moins, je fais un peu de cash.


Au bout d’une dizaine de minutes, il y a finalement quelqu’un qui la prend. Une dame dans la quarantaine qui s’accote même à côté de moi pour me jaser en attendant le bus. Elle me dit qu’elle vient de Barcelone et qu’elle déplore qu’à Montréal, les gens communiquent pas entre eux. Moi, je lui réponds que je trouve que ça communique pas ben ben mieux en espagnol. Je me trouve drôle et le démontre avec un rire de vieille fumeuse sul crack, mais elle, a l’air de me trouver plus folle qu’autre chose.


Une jeune fille attendant aussi le bus et ayant entendu la mention de Barcelone se retourne pour échanger avec la femme sur cette ville qu’elle a visitée récemment. Moi aussi j’y ai déjà été, à Barcelone, mais je pense pas que ce soit une bonne idée de le dire. Elles me croiraient pas de toute façon… Elles jasent ensemble et c’est clair que je les gosse à interrompre leur conversation à chaque deux secondes avec mes jeux de mots poches avec « catalan », mais elles continuent quand même à me sourire poliment. J’ai même droit à de chaleureux au revoir quand leur bus arrive.


Nicole
Nicole

C’est donc après un dur début de soirée à me faire mépriser et/ou ignorer que j’ai enfin réussi à créer un semblant de lien avec d'autres êtres humains. Dans ma tête, j’ai même un peu aidé à créer un lien entre deux inconnues, dont une qui se plaignait d’avoir de la difficulté à le faire à Montréal en plus. Way to go, Nicole!


On dirait même que tout ça m’a encouragée et que ma soirée a un peu décollé à partir de ce moment-là.



Billet 2

Mardi le 14 avril 2015, 21H. Toujours coin St-Denis/Ontario


On dirait que l’échange avec les deux femmes m’a primée et je me mets à interagir un peu plus avec les passants. Certains rient de mes blagues et d’autres reviennent même sur leurs pas pour me donner quelques sous. Je commence à me faire du fun. Je me rends aussi compte que le fait d’être postée devant un arrêt d’autobus a ses avantages. Ça me permet entre autres de jaser au monde à la place de juste essayer de les accrocher au passage.


Et tant qu’à voir le bon côté des choses, je trouve aussi un avantage à être invisible: ça me permet d’écouter les conversations des gens. Comme celle de quatre jeunes étudiants en file à l’arrêt de bus qui parlent de la grève étudiante. C’est pas très long que j’ai envie de m’en mêler, alors j’initie le contact à l’aide de quelques niaiseries. Au début, ils sont pas sûrs, mais ils finissent par me trouver attachante (je pense) et à m’inclure dans leur conversation. Ils m’expliquent patiemment les enjeux de la grève et ce qui cloche au sein du gouvernement, selon eux. Ils me racontent même un peu l’histoire de Robin des Bois en passant. Ils essaient aussi de me convaincre d’arrêter le crack mais je leur dis en souriant de toutes mes dents pourries: Vous avez jamais essayé ça vous autres, hein? Parce que sinon, vous le sauriez. Le crack, c’est la vie! (Vous pouvez être sûrs qu’ils y toucheront jamais maintenant!) Et c’est finalement avec des grands sourires et en me faisant des babailles jusque dans l’autobus qu’ils me quittent pour la soirée.


Et là, le bonheur que je ressens pour Nicole à cet instant me confirme quelque chose que je savais déjà. Que, de temps en temps, on devrait prendre quelques minutes pour jaser aux itinérants. Je crois qu’encore plus que de notre argent, ils ont besoin de sentir qu’ils existent, qu’ils sont importants et qu’ils font partie de la société eux aussi. #mangerpournotrecaboche

 

Sinon, tout au long de la soirée, j’en profite pour essayer des blagues et, si la plupart des passants me trouvent drôle (quand ils ne m’ignorent pas complètement), un jeune homme particulièrement susceptible n’est clairement pas de cet avis.


Il est presque 22h alors ça commence à turn-up pas cool dans le Quartier latin. Trois gars d’une vingtaine d’années passent devant moi avec chacun une cannette de bière à la main et je leur fais la même blague qu'au 2-3 derniers passants qui l’ont ben ri: « Deux piasses pis je te dis ton avenir! « Non merci » Ben j’vas te le dire pareil… T’en as pas!! que je lui lance dans un rire gras mais pas méchant. Hé ben, j’ai peut-être touché une corde sensible parce qu’un des trois gars se retourne en beau tabarnak pour me crier « Ah ouin?!? C’est qui qui quête? » et me garnotte sa cannette de bière dessus. Moi, je suis pas ben ben stressée parce trop à fond dans mon personnage de folle/badass/soule, alors je fais juste me tasser pour éviter la cannette en continuant de rire grassement.


Je retourne à mon spot, pas ébranlée plus qu’autre chose, juste comme: Oh well, il l’a pas pris pauv’ ti, mais une passante ayant été témoin de la scène vient me voir d’un air troublé pour me demander si je suis correcte. Elle a tellement l’air traumatisée que, pour la rassurer, je décide de sortir de mon perso pour la première fois de la soirée. Je lui dis alors avec ma voix normale: Ben non, t’inquiète pas, c’est juste une joke. Mais, incapable de me voir autrement que ce que j’ai l’air d’être, elle reste sur sa position: « Même si vous faites des jokes, y’a personne qui a le droit de vous traiter comme ça. Si jamais vous avez besoin d’aide, vous demandez de l’aide, ok? » Je lui promets, je la remercie, et elle part de reculons en me souhaitant bonne chance. On est vraiment touchées, Nicole et moi.


Pis là, comme si c’était pas assez de bonté pour un seul moment, j’entrevois un monsieur en veston-cravate ramasser la cannette de bière pour la jeter. En même temps, une vraie itinérante demande de l’argent à mon amie et je me dis que ça tombe trop bien vu qu’on allait quitter. Je verse donc mon 10$ de change accumulé dans mes mains et lui tend, mais elle le refuse avec véhémence: « Ben voyons donc! C’est pas à toi de me donner ça! » et s’en va.


Faith in humanity = Restored


Mais pas pour longtemps…



Billet 3

Lundi le 20 avril 2015, 20H. Lobby Bar, coin Papineau/Mont-Royal


C’est le soir de la présentation finale de nos numéros au Lobby Bar. Je suis la première à passer et je suis évidemment de mèche avec mes profs pour faire mon stunt. Quelques minutes avant le spectacle, il est prévu que je sorte par une porte de côté et que je m’installe pour quêter à l’entrée.


Les deux premières personnes que je rencontre sont des amies, mais il est pas question que je sorte de mon personnage. Vous voulez me parler? Ben vous allez parler à Nicole, mes nouères! Même ma mère, crampée raide de me voir comme ça, a pas droit à un traitement spécial. Pis a l’a même pas de change en plus! Pfff!


Un ami entre dans le bar sans trop me regarder. Il semble inconfortable quand je lui demande un peu de change et, par son ignorance active, finit par ne pas me reconnaître du tout. À l’autre extrême, une inconnue que je soupçonne être la mère d’un des étudiants sur le spectacle me donne deux dollars en me souhaitant merde pour le show.


Sinon, mon public par défaut est constitué d’un groupe dans la jeune vingtaine qui fume des cigarettes dehors. Je leur quête de l’argent, mais ils en ont pas, fait que je leur quête une cigarette pour la revendre. L’un d’eux m’en donne une à contrecœur en espérant sûrement que je les laisse tranquilles, mais pas de chance: Nicole s’ennuie pis elle veut jaser. Mais disons qu’ils sont pas super réceptifs…


Heureusement pour eux (et pour moi), une amie fumeuse arrive pas très longtemps après et me tient compagnie jusqu’à ce que ce soit l’heure de rentrer. Elle me vouvoie et m’appelle Nicole, et moi, je décroche pas d’un pouce de mon perso, alors l’illusion est maintenue.

 

Cinq minutes avant le début du spectacle, je rentre à l’intérieur et traverse tout le bar jusqu’à la scène. Chose que je fais sans grande subtilité, causant du même coup de nombreux regards empreints de jugement. Intérieurement, je trouve ça très drôle.

Je vais m’installer à l’avant et, juste avant que mon prof présente le premier humoriste, je monte sur scène et demande si je peux faire un numéro. Le public reste de glace, mais MC Mario les encourage à accepter (une chance). À la fin de mon number, il dit mon vrai nom au micro et j’enlève ma tuque pour découvrir mes cheveux longs et fraîchement lavés, ce qui achève de dévoiler le subterfuge si certains doutaient encore.


À l’entracte, mon amie fumeuse me relate avoir entendu le groupe du début parler dehors à la pause et dire qu’ils se sentaient super mal d’avoir été bêtes avec moi. J’ai aussi l’impression que mon ami qui ne m’a pas reconnue se sent un peu petit dans ses shorts. C’est à ce moment que je comprends que c’est peut-être plus qu’un simple stunt ce que je fais là. Moi qui ai toujours voulu faire du théâtre invisible, me serais-je finalement mise à en faire sans même m’en rendre compte?


Parce que du théâtre invisible, c’est pas juste de faire croire à un public non averti qu’on est quelque chose qu’on n’est pas ou qu’il est en train de se passer quelque chose de choquant ou d’invraisemblable, mais c’est aussi d’utiliser ce procédé pour susciter une réflexion. Je pouvais malheureusement pas dévoiler mon identité au centre-ville sans risquer de me faire péter les dents par des itinérants fâchés, mais de le faire en spectacle permet vraiment d’amener les gens à remettre en question leur comportement. #mangerpourleurcaboche


Et ce soir-là, ce n’était qu’une représentation devant un public de parents et d’amis, mais la semaine suivante, j’allais au Bistro de Paris, endroit qui, malgré ce que son nom peut laisser croire, n’a absolument rien de prestigieux. Là, ça a rocké!



Billet 4

Mardi le 28 avril 2015, 19H30. Bistro de Paris, coin St-Denis/Mont-Royal


Le Bistro de Paris… Pas mal la place la plus crad que tu peux trouver sur le Plateau. La majorité des clients jouent aux machines à saouls (pun intended) comme si leur vie en dépendait, pendant que le reste se demande s’il s’est pas trompé de place pour le show. Ça commence à 20h mais j’arrive vers 19h30 pour me donner le temps de me déguiser.


Fait cocasse et malodorant: il y a une fille qui diarrhise sa vie dans la cabine à côté de moi pendant que je me change. Ça donne le ton.


Je suis encore la première à passer; c’est un adon mais ça adonne bien. J’avertis l’organisateur de ce que je vais faire mais personne d’autre est au courant. Je sors donc subtilement du bar comme si je venais d’utiliser leurs toilettes à leur insu et m’installe à côté de la porte pour quêter. Je reçois un traitement d’invisibilité encore pire que dans le Quartier latin: on me regarde à peine et on me répond surtout pas. Sur le Plateau, on aime pas ça le pas beau.


Une dame d’un âge et d’un état d’ébriété avancé, visiblement une habituée du bar, sort pour fumer une cigarette. Fidèle à mon modus operandi, je lui lance une niaiserie pour engager la conversation: Vous venez voir le show ou si vous venez juste jouer aux machines? Elle me répond vivement qu’elle en a rien à faire du show pis que les humoristes sont jamais drôles anyway. Je lui réponds que je gage qu’il va y en avoir au moins une de drôle à soir. Elle est pas d’accord et continue à chialer contre cette maudite soirée qui la dérange dans son très sérieux gambling. Et puis, tout d’un coup, elle arrête de déblatérer et me dévisage intensément, comme si elle venait tout juste de remarquer mes dents pourries, pis elle me shoote: « Tu dois être tu seule dans vie, toué! »


Ouch.


Déstabilisée, je lui réponds que oui, mais que ça me dérange pas. Mais elle continue en me disant que je vais finir ma vie toute seule et que je m’organise pas pour me faire aimer. Je résiste à l'envie de lui expliquer ce qu'est la projection et elle ajoute que je devrais m’arranger si je veux me trouver un mari. Là, la féministe non itinérante en moi se fâche et, même si je reste dans mon personnage, je lui dis qu’il y a ben d’autres choses plus importantes dans la vie que de prendre mari, mais elle m’achève en me lançant avec un rire moqueur: « Anyway, tu t’es tu vu l’air?! C’est sûr que tu vas finir tu seule!! »


Je sais pas quoi répondre.


Je le sais que ses paroles s’adressent pas à moi, mais ça me fait de la peine pareil. Pour Nicole, pis en général aussi. Je peux pas croire que quelqu’un peut être aussi méchant envers un autre être humain sous seul prétexte qu’il est laid et pauvre. Je suis consciente que je suis sur un gig et qu’il faut que je reste un minimum professionnelle, mais à cet instant précis, c’te madame pas fine là avec son rouge à lèvres trop flash fuyant vertigineusement dans les lignes de sa lèvre supérieure, j’ai crissement envie de la kicker dans la gorge.



Billet 5

Mardi le 28 avril 2015, 20H. Toujours au Bistro de Paris, coin St-Denis/Mont-Royal


Sans réfléchir, je pogne la madame pas fine par ses cheveux orange pis je lui assène un coup de genou entre les deux yeux, assez fort pour qu’elle tombe raide sans connaissance. Je la regarde gésir par terre et me rends soudainement compte de ce que je viens de faire. Je réfléchis à la vitesse de l’éclair et réalise que je suis déguisée, que j’ai aucune pièce d’identité sur moi et qu’il y a seulement l’organisateur de la soirée qui sait qui je suis vraiment. Je décide donc de me sauver avant que l’attroupement autour de la madame prenne des proportions démesurées. Mais à peine rendue au coin de Mont-Royal, je tombe nez à nez avec deux patrouilleurs. Décelant ma panique, ils m’attrapent au passage. J’ai rien faite! Pire affaire à dire. Ça a sorti tout seul. Ils se posent même pas de questions et me passent les menottes. Fuck.


Bon. Bugingo, sors de ce corps! J’ai plus de maîtrise de moi-même que ça quand même. La plupart du temps…


Je réponds juste rien, me détourne et me remets à quêter. Pis la madame pas fine s’en va parler avec un autre habitué du bar un peu plus loin. Bon débarras!

 

Je remarque alors qu’une femme est en train de se stationner dans une place réservée aux handicapés sans avoir de vignette à son rétroviseur. Consciente de mon casting, j’hésite à aller la prévenir, mais me dis qu’au contraire, ça serait un bon test à faire. Je m’approche donc de sa voiture et cogne doucement à la fenêtre du côté passager. Elle se retourne, vient pour baisser la vitre, jette un deuxième coup d’œil vers moi, réalise à qui elle a affaire et se détourne en secouant vigoureusement la tête, puis finit de se garer. J’essaie de lui faire des signes pour qu’elle comprenne ce que je veux lui dire, mais elle m’ignore activement. Bon, tant pis. Je retourne à mon spot.


Finalement, elle accroche une vignette bleue à son rétroviseur et sort de sa voiture. J’en profite pour me justifier: Je voulais pas te quêter madame, je voulais juste te dire que c’était une place réservée pour les handicapés. Tsé, j’avais pas vu ta vignette. Elle me regarde sans me répondre et se sauve à l'intérieur du bar.


Trois jeunes d’environ 20 ans entrent peu après elle. Je leur demande de l’argent, mais ils ne savent pas du tout comment réagir et leur malaise est palpable. La fille du groupe me dévisage longuement avec un air apeuré comme si c’était la première fois de sa vie qu’elle voyait quelqu’un de laid.


Je rentre quelques minutes avant le début du show et vais m’assoir avec ma mère à une table à l’avant, juste à côté des trois jeunes. Comme au Lobby Bar une semaine plus tôt, je monte sur la scène juste avant que l’animateur présente le premier humoriste et j’insiste pour faire un numéro. Cette fois-ci, le public est super enthousiaste. Cool! Par contre, je saurai plus tard que peu d’entre eux avaient compris que je jouais un personnage avant que l’animateur ne me « déprésente » et que j’enlève ma tuque. C’est drôle parce que, dans le texte, bien que ce soit une itinérante qui parle, je fais des blagues limite intellectuelles, alors je me dis qu’il faut vraiment ne pas les comprendre pour penser jusqu’au bout que je suis une vraie itinérante… C’en est presque épeurant.

 

Après le spectacle, la dame à la vignette vient me voir pour me dire qu’elle a vraiment cru à mon personnage jusqu’à la fin et qu’elle a même chialé à voix haute que je prenais trop de temps de scène. Ok... Devant mon air interloqué, elle ajoute qu'elle s'est sentie obligée de m'avouer ça parce qu’elle a peur que ma mère, assise à côté d’elle, l’ait entendue. Elle s’excuse de m’avoir traitée comme une personne invisible quand j’ai voulu l’avertir pour le stationnement. Cet échanger malaisant aurait pu s'arrêter là, mais elle a cru bon de me révéler qu’elle n'est pas vraiment handicapée, mais qu’elle utilise la passe toujours valide de son défunt père. Nice.


Quant aux trois jeunes, ils arrivent sur les entrefaites pour me serrer la main et me féliciter. Ils disent avoir passé la moitié de mon numéro à chercher mon nom sur l’évènement et à me googler tellement ils étaient mystifiés. (Ils auraient pu écouter aussi…) Ils m’avouent également ne pas avoir apprécié que je m’assoie à côté d’eux au début du spectacle et avoir failli demander au staff qu’on me sorte. (Notez que je ne dérangeais pas du tout et que je sentais très bon.)


Pour ce qui est de la madame méchante, je l’ai pas revue. Mais j’espère qu’elle, m’a vue pas maquillée après le show pis qu’elle s’est trouvée conne (je suis quand même cute, t'sais). Anyway, je veux pas porter de jugement gratuit, mais elle, bien que « arrangée » avec son rouge à lèvres laitte pis toute, doit pas avoir un gros cercle d’intimes pour passer ses grandes soirées aux machines à saouls du Bistro de Paris. Je dis ça de même…

 

Voici ce qui conclut ma brève mais enrichissante expérience dans les shoes troués de Nicole. Ç'aura été troublant, bien qu'éclairant, de sentir le regard des gens se poser sur moi d’une façon tellement différente de d’habitude juste à cause de l’image que je projetais. Ça m’aura aussi permis de voir de près tout ce que l’être humain peut avoir de beau et de laid en lui, mais surtout, de comprendre que son laid est souvent causé par sa souffrance, son ignorance et sa peur.


Merci! Vous étiez un public formidable!

 

 

 

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